Are you real ? Ft. Elle

Des semaines. Des mois, même, à errer sans but. Il est beau, le maître Jedi. Un Jedi qui n'est plus. Qui ne peut plus être. Qui a commis bien trop d'erreurs et qui n'as plus aucun espoir en l'avenir. Ici, plus rien n'a vraiment d'importance. Il n'y a plus de destin, plus d'élu, plus de force déséquilibrée. Seulement les jours qui se succèdent. Je ne suis plus que Ben, un homme taciturne qui travaille au supermarché du coin et noie (trop) souvent ses idées noires dans des verres d'alcool. Jamais, autrefois, je ne me serais cru capable d'une telle débauche, d'une telle déchéance. Mais je n'ai plus envie de croire. Plus envie d'espérer. Je vis ma vie, sans même chercher à savoir ce que je fais là, finalement. C'est indigne. J'en suis conscients, et cela me déchire en deux. Je fais profile bas, gagne de quoi payer mon loyer et me nourrir et n'attend rien d'autre que ça. J'ai commis assez d'erreurs comme ça. J'ai tué assez de Skywalker comme ça.

Ma main se resserre autour de mon verre d'alcool alors que mes yeux se perdent dans le vide. Je suis assis au comptoir d'un bar quelconque, en bas de la rue où j'habite. Je suis un habitué, comme on appelle ça. Et cela aussi me fait honte. Une honte qui, d'ordinaire, m'oblige à garder la tête basse. Ce soir, j'ai trop bu pour ressentir une quelconque mortification. L'alcool ne rend pas mon âme plus légère, bien au contraire. Elle l'ancre dans des tourments encore plus profonds. C'est une forme de punition, quelque part. Une punition pour ne pas oublier, pour creuser cette douleur cuisante. Pour détruire à petit feu (piètre choix de mots) ce que j'ai un jour été. L'ombre de moi-même, c'est ce que j'ai souvent l'impression d'être. Un fantôme inexistant, sans substance.

J'ingurgite cul sec un nouveau verre. L'alcool brûle ma gorge et réchauffe mon estomac. L'espace de quelques secondes je me sens moins vide. Mais ça ne dure pas. Ca ne dure jamais. Lorsque je relève les yeux, mon regard bleuté tombe sur une silhouette si familière que c'est comme un choc électrique. J'écarquille les yeux, sursaute.

« Ella !? » ma voix se brise.

Mon esprit me joue des tours (encore une fois). Ce n'est pas la première fois que je suis victime d'hallucination, ou que je me parle à moi-même des heures durant lorsque j'ai trop bu. Mais c'est la première fois qu'Ella apparaît devant moi. D'ordinaire, c'est mon maître Qi-Gon qui me sermonne, ou avec qui je tente de débattre. Le monde est décidément bien cruel.

« … Tu ne devrais pas être ici. » dis-je dans un souffle. « Mais je suis heureux de te voir. J'aurais seulement souhaité que ce soit dans d'autres circonstances... » un rire amer m'échappe.  

Comment est-ce qu’elle s’est encore mise dans ces ennuis ? Disons que ce n’est pas la première fois qu’elle se retrouve à combattre les gangs de rues, même si habituellement, il y a au moins Isaak avec elle. Mais son ami n’est pas là, sans doute pris par des affaires ailleurs. Et ces voyous, ils veulent justement l’adresse d’Isaak, le fameux informateur de New York. Bien entendu, Ella a catégoriquement refusé de répondre à leur question et les choses ont vite dégénéré. En général, elle évite d’utiliser la force -pour éviter de se faire remarquer par des jedis … ou pire- mais lorsqu’ils sont trop nombreux, pouvoir les envoyer voler contre le mur, c’est plutôt pratique.

Quelques coups par ci par là, la voilà justement déjà en train de vagabonder dans les rues -ou plutôt fuir à toutes jambes-. En passant dans une ruelle, elle manque de se casser la figure sur une bouteille qui traine par terre et pris d’une illumination, Ella court se cacher dans le bar.

Elle enlève sa cape rouge trop voyante, qu’elle tient finalement sous un bras, puis zigzag entre les tables et passe devant le comptoir avant de se stopper. WTF ? La blonde fait quelques pas en arrière et regarde l’homme ivre au comptoir avec de grands yeux abasourdis et la bouche ouverte.

En temps normal, elle aurait fui avec plus de témérité que face aux voyous, mais la scène est beaucoup trop étrange pour ne pas s’en formaliser.

“Maîîîître ????!”

Elle ne devrait pas être ici oui, bah euh, lui non plus ??? Encore moins dans un tel état ? Il aurait aimé la voir dans d’autres circonstances … Sans blague ?!

“.... Ah bah ça, à qui le dites-vous ….”

Ella grimace puis finalement tire la chaise à côté de lui.

“Vous avez une sale mine … Je vous ai connu, plus ….. Plus … Enfin vous savez, plus comme ça …”

Le “comme ça” est immitée par une posture droite et rigide, presque robotisé mais avec une touche de stupidité. C’est censé représenter l’image sévère d’Obi-Wan Kenobi.

Soudainement, des voix se font entendre derrière elle.

“Elle est là, attrapez la !!”

Zut, elle les avait oublié eux. Ella grimace encore une fois et enfile sa cape.

“Attendez … je reviens … ou peut-être pas. Peu importe …… Et arrêtez de boire, ça devient gênant.”

Elle attrape la bouteille le verre d’alcool et le jette à la figure de l’homme qui essaie de l’attraper. Un autre lui empoigne les cheveux et tire. Ella est projetée en arrière dans un cri, non sans avoir eu le temps de saisir un plateau dont elle se sert pour fracasser la tête du type.

Le fantôme, l'hallucination, ce fragment du passé s'adresse à toi comme d'habitude. Comme si rien n'avait vraiment changé, dans le fond. Tu ne sais pas si tu dois en être soulagé ou si, au contraire, tu dois laisser l'affliction te submerger. Tu observes donc en silence le moindre de ses gestes, sa manière d'être. Est-ce une partie de ton esprit qui vient te rabrouer ? Te condamner, pointer du doigt les erreurs que tu continuent de commettre ? Tu étais jadis inflexible, c'est vrai (peut-être même trop). Et sans doute aussi stupide que le démontre son air (fait dont tu aurais pu t'offusquer). Mais tu ne parviens pas à savoir quoi dire, ou quoi faire, sinon la regarder.

C'est la soudaine altercation qui te sort de cette torpeur. Comme un choc électrique. Ton hallucination (peut-être plus réelle que prévu) attrape ta bouteille pour la lancer au visage d'assaillants ? La bagarre qui débute est violente. Tu te redresses d'un bond, mu par un ancien instinct qui coule toujours dans tes veines. Dans ton élan, tu attrapes une autre bouteille derrière le comptoir du bar et t'en sers pour assommer l'un des hommes qui s'apprêtait à bondir sur Elle.

« C'est vraiment du gâchis, ça... » marmonnes-tu avant de saisir le bras d'Elle.

Tes gestes sont moins précis qu'avant (en grande partie à cause de l'alcool qui embrume ton esprit). Cela ne t'empêche pas de la tirer avec toi dans le bar. Au passage, tu laisses tomber un billet sur le comptoir pour rembourser la bouteille et tu sors aussitôt de là, emportant avec toi ton ancienne apprentie (dont le bras est bien réel entre tes doigts). Vous faites quelques pas avant que deux types ne vous barrent la route, battes en main. Tu recules de quelques pas, mais vous êtes déjà encerclés. Tu lèves les yeux au ciel.

« Occupe-toi de ceux de derrière. » Tu lèves tes doigts devant toi et cherches quelque chose, une énergie que tu n'as plus du tout l'habitude de manipuler. Elle te paraît inaccessible, difficile à atteindre. Tu essayes tout de même de plier leur volonté et leur esprit. « Vous ne voulez pas être là. Vous allez laisser tomber vos battes et rentrer chez vous pour dormir tout l'après-midi. » Tu n'ajoutes pas pour réfléchir à vos actions, car tu n'es plus vraiment bien placé pour donner de leçons.

Sauf que, rien ne se passe. Les deux types se regardent, perplexes, avant de ricaner. Ils te prennent visiblement pour un fou.

« Il s'est pris pour un jedi, ou quoi ? »

Tu as mal au crâne, d'avoir essayé de manipuler la force. Un tour si simple qui t'échappe maintenant totalement. Tu lâches un soupir et le premier coup de batte t'atteint en pleine mâchoire.

Evidemment, face à une bagarre, Obi-Wan Kenobi est aux premières loges pour envoyer les voyous réfléchir à leurs actions et surtout protéger sa padawan disparue trop tôt. Sans aucune délicatesse, il attrape le bras d’Ella pour traverser le bar. Un geste bourru qui va bien avec sa personnalité, un peu maladroit quand il s’agit des sentiments. Et Elle sent justement qu’à cet instant, un tourbillon de sentiments submergent Obi-Wan, bien qu’il trouve toujours un moyen de les contenir. Pour une fois, l’insolente élève ne commente pas et se contente de le suivre. Les voyous les encerclent rapidement, les forçant ainsi au combat. Ce que son vieux maître essaie une dernière fois d’empêcher avec son petit tour favori. Rien ne se passe.

“..... C’est très impressionnant.” Elle ne peut cette fois ci pas retenir sa remarque sarcastique.

Ils ont cette fois-ci pas d’autres choix que d’en venir aux mains. En soit, ça aurait été réglé si facilement. Pourtant, pendant qu’Ella s’occupe de ceux de derrière comme demandé, du coin de l’oeil, elle voit que les mouvements de son maître sont gauches, imprécis. L’alcool n’est pas le seul problème, elle le voit bien. D’un coup de pied, elle repousse l'adversaire d’Obi-Wan contre la table et à son tour, elle tire le bras de son maître pour se ruer hors du bar. Elle le lâche mais continue de courir jusqu’à les semer, qu’ils soient hors d’atteinte et tranquilles.

Ella s’arrête enfin et s’appuie contre un mur, reprenant sa respiration. Son maître n’est pas dans un meilleur état. Le temps décide lui aussi d’être contre eux, une pluie de plus en plus forte vient tremper lors vêtements et leurs corps. C’est si soudain qu’Ella pousse un cri.

Ils ne sont pas loin de là où elle habite, et bien qu’il y a un petit convenience store, elle décide finalement de reprendre la course jusqu’à chez elle. Ils y seront plus tranquille : on n’est jamais mieux que chez soi.

“Venez !”

Elle traverse le portail, sur les 6 immeubles, elle choisi le 5ème, s’engouffrant avec lui dans l’ascenseur, appuyant au 7ème étage. Enfin, ils arrivent chez elle. Ella tourne vers la porte de gauche et sort ses clés pour entrer.

“C’est chez moi, bienvenue !”

La blondinette prend quand même le temps de voir si sa colocataire est là ou non. Absente. Ce n’est pas plus mal, ça évitera à son vieux maître déjà complètement à côté de la plaque, de voir double. Elle ne peut quand même s’empêcher de s’inquiéter, jetant un coup d’oeil à la fenêtre … Avec une pluie aussi forte, elle espère qu’Elle va bien. En attendant, elle revient de la salle de bain et lance une serviette à Obi-Wan, et en garde une pour elle, pour se frictionner les cheveux.

“Quelle histoire …. Je ne m’attendais pas à vous voir … Et vous voir … Ainsi.”

La question reste muette, elle sait qu’Obi-Wan n’est pas dans l’obligation de lui raconter son histoire et qu’il ne le fera pas. Elle ignore ce qu’il lui ait arrivé, mais peut-être que sa présence changera les choses. Si Ella le veut … Ce qui là est une autre histoire, elle est restée loin de l’ordre jedi après y avoir laissé sa vie. Elle pensait laisser ce passé derrière elle. Mais voila, Obi Wan Kenobi est avec elle.

La douleur fulgurante traverse ta mâchoire et remonte jusque dans ton crâne. Tu serais tombé en arrière sans la présence d'une table derrière toi pour te permettre de garder l'équilibre. Tu évites un second coup, sans doute par chance, sans même entendre la remarque sarcastique de ton ancienne élève qui vient à ton secours et attrape ton bras pour te tirer hors du bar. Vous prenez tous les deux la fuite, laissant derrière vous vos assaillants.

Tu te mets donc à courir, à suivre la silhouette d'Ella qui file comme le vent dans la rue. Et tu ne parviens pas à chasser cette vision étrange de ta tête alors que tu t'essouffles rapidement. Les exercices physique ne te sont plus vraiment coutumiers, et l'alcool n'aide pas ta condition, dégrade même beaucoup ton organisme. Tu arrêtes ta course dans une ruelle, juste derrière la jeune femme, et tu ne sais pas comment parler, aborder le moindre sujet. Tu te sens ridicule, et tu l'es. Ton comportement est inqualifiable, injustifiable, et tu ne trouves pas les mots, ils s'échappent.

Lorsque tu lèvres les yeux vers le ciel, il se met soudain à pleuvoir d'un coup, et les gouttes d'eau qui s'écrasent sur tes lèvres en sang te soulage. L'averse soudain, qui vous trempe jusqu'aux os, te permet aussi de retrouver un peu de lucidité. Et tu aurais préféré que ça ne soit pas le cas car tu te sens encore plus pathétique. Tes yeux bleus, translucides, se posent sur la silhouette d'Ella et tu es heureux que la pluie dissimule les larmes qui auraient volontiers franchies la barrière de ton regard si tu l'avais permis. Mais tu ne pleures plus depuis longtemps.  

Docile, sans commentaire, tu la suis jusqu'à l'immeuble où tu habites toi aussi et montes jusqu'à l'étage de ton appartement. Tu es confus, l'espace d'un instant, alors qu'elle ouvre la porte d'en face. Etait-elle vraiment si près ? A quel point es-tu devenu aveugle ? Tu retiens un soupir et entres à sa suite. Tu restes sur le pas de la porte, dégoulinant des pieds à la tête sur le plancher, et tu n'oses faire un pas. Tu ne veux pas salir les lieux de boue (et de ta présence). Tu restes donc parfaitement immobile en suivant des yeux les mouvements de ton ancienne élève. Tu forces tes émotions à se dissimuler derrière une faible barrière, tu ne veux pas qu'elles explosent et, malgré ta tête douloureuse et les efforts considérables que cela te demande, tu y parviens. Ne reste plus que ton apparence calme derrière le désastre causé par l'alcool et la pluie.

D'un geste un peu gauche, tu attrapes la serviette et frottes vaguement tes cheveux avec. Tu déglutis lentement avant de te râcler la gorge et de prononcer un :

« Merci. » un peu enroué. Tu ne parles pas à grand monde, il faut bien le dire. « Je ne pensais pas te revoir non plus. » Un aveu que tu tentes de prononcer d'une voix neutre mais qui éveille en toi d'anciennes blessures encore vives. Tes erreurs te sautent à la gorge et tu serres la serviette bleu entre tes doigts. L'alcool encore présent dans ton organisme t'empêche de réagir comme tu l'aurais fait en étant sobre. « ... Je suis désolé, Ella. » sont donc les mots qui franchissent tes lèvres. Les émotions pulvérisent ta barrière, la force s'évapore, tu ne peux pas lutter. Tu baisses la tête sur tes mains tremblantes. « ... Je suis désolé. » répètes-tu.